17 Octobre 2014

Perturbations ionosphériques liées à l'activité humaine

Lignes Haute Tension

Le terme utilisé en anglais pour désigner ces émissions dues à l'activité humaine est PLHR (Power Line Harmonic Radiation), c'est-à-dire littéralement les radiations émises par les lignes haute tension aux harmoniques du 50 Hz (ou du 60 Hz aux Etats-Unis). Mais ces lignes ne sont pas les seules à rayonner des harmoniques. Il faut considérer aussi certaines industries lourdes qui peuvent générer de nombreuses harmoniques quand elles convertissent le courant alternatif en continu. Une recherche systématique de ces lignes a été effectuée sur toutes les données burst de DEMETER et le résultat est montré dans la Figure 11. On retrouve bien à l'altitude du satellite des lignes espacées de 50 Hz en Europe et de 60 Hz aux Etats-Unis (Nemec et al., 2006, 2007a, 2007b).

Lors d'une campagne de mesure effectuée en Finlande en commun avec DEMETER, un événement remarquable a été enregistré simultanément au sol et à bord du satellite (Parrot et al., 2007b). Des émissions de type PLHR et MLR (Magnetospheric Line Radiation) ont été observées pendant 2 heures et les enregistrements du satellite ont permis de montrer que ces émissions s'étendaient aussi sur une très vaste région y compris dans l'hémisphère opposé. Les MLR sont des lignes qui ne sont pas aux harmoniques exactes du 50 Hz (ou du 60 Hz) et dont les fréquences dérivent en fonction du temps. La Figure 12 montrer l'enregistrement au sol. La Figure 13 montre les positions respectives de DEMETER et du lieu d'observation au sol. Un spectrogramme de DEMETER est représenté dans la Figure 14. La Figure 15 présente la comparaison entre les émissions au sol et à bord du satellite. On peut observer une parfaite correspondance entre les fréquences des lignes au sol et à bord de DEMETER ce qui montre que la traversée de l'ionosphère n'affecte pas ces émissions.

Figure 11 : Les points en gras représentent les lieux géographiques des PLHR observés avec une séparation en fréquence de 50 Hz (panneau de gauche) et de 60 Hz (panneau de droite). Les lignes de champ magnétique passant par ces points sont indiquées.

Figure 12 : Spectrogramme du signal reçu à Kannuslehto (Finlande) entre 18.00 et 19.00 UT. La gamme de fréquence est entre 1 et 3 kHz. L'intensité du signal est codée en couleur suivant l'échelle à droite. Les lignes horizontales observées juste au dessus de 1 kHz et entre 2 et 3 kHz sont les PLHR aux harmoniques exactes du 50 Hz. Un second jeu de lignes dérivant en fréquence est observé entre 1.2 et 2.4 kHz. Elles sont appelées MLR (Magnetospheric Line Radiation).

Figure 13 : Carte montrant la zone où l'événement a été enregistré. L'étoile indique la position de Kannuslehto (67.74°N, 26.27°E) en Finlande. La ligne représente la projection de l'orbite de DEMETER (12842.1) le 28 Novembre 2006. La partie élargie montre l'endroit où DEMETER est en mode burst et le tiret l'endroit où on arrête de recueillir des données.

Figure 14 : Spectrogramme du signal reçu par le satellite DEMETER entre 18.23.30 et 18.24.30 UT à la fin de la zone burst montrée sur la Figure 13. L'intensité du signal est codée en couleur suivant l'échelle à droite. Des MLR sont observées entre 1.4 et 2.2 kHz.

Figure 15 : Comparaison entre les fréquences des lignes observées à Kannuslehto (en bleu) et à bord du satellite (en rouge). Les spectres sont entre 1200 et 2400 Hz et correspondent à l'intervalle de temps 18.24.20 - 18.24.30 UT. En plus des MLR, le spectre de Kannuslehto montre des PLHR à 1250, 1450, 1650, 1950, 2050, 2150, et 2350 Hz.


Une étude statistique très complète sur les MLR a été effectuée par Nemec et al. (2009) pour montrer leurs caractéristiques principales (gamme de fréquence, occurrence spatiale,...). Ils ont montré que ces émissions sont beaucoup plus répandues que l'on croyait et qu'elles avaient lieu lors d'une activité magnétique non négligeable, plus principalement à la longitude des Etats-Unis. Un exemple typique est montré dans la figure 16.


Figure 16 : Exemple typique de MLR autour de 3 kHz. Ces émissions s'étendent sur presque toute la demi orbite.

D'autres exemples de PLHR et MLR ont été publiés par Parrot et Nemec (2009). La figure 17 montre un exemple de PLHR tandis que la figure 18 montre un phénomène lié au MLR.


Figure 17 : Spectrogramme VLF d'une composante du champ électrique recueilli le 13 Août 2006 pendant une minute entre 21:42:30 et 21:43:30 UT. La gamme de fréquence est entre 2 et 5 kHz. L'intensité est codée suivant l'échelle de couleur à droite. Un jeu de trois lignes peut être observé juste au dessus de 3.5 kHz. Les fréquences des lignes sont proches de 3603, 3711, et 3808 Hz, ce qui veut dire que l'intervalle de fréquence est de l'ordre de 100 Hz. Il n'y a pas de dérive en fréquence des lignes pendant cette observation. L'événement a été enregistré près de la Nouvelle Zélande entre 21:41:30 UT et 21:46:00 UT le temps auquel les expériences sont coupées à hautes latitudes. Ces lignes fines et un intervalle de fréquence proche d'un multiple de la fréquence du réseau électrique (50 Hz en Nouvelle Zélande) montrent que c'est un événement de type PLHR.

Figure 18 : Spectrogramme montrant un phénomène de MLR autour de 3 kHz. Les données ont été recueillies le 4 Avril 2007. Cet événement de type MLR est enregistré sur une orbite proche de la côte est du Japon et qui se termine au dessus du Kamchatka. Il est observé dans une bande de fréquence entre 2.6 et 3.7 kHz et comporte des éléments à fréquence décroissante périodiques d'une durée de ~ 3.4 secondes. Différents jeux d'éléments avec une pente négative apparaissent parce qu'ils ne sont pas synchronisés. En fait les MLR sont visibles à cause des éléments périodiques qui sont très similaires aux émissions précédemment observées par Helliwell (1965) au sol. Dans ce cas les MLR ont une origine naturelle.

Emetteurs TBF

Les émetteurs TBF au sol sont principalement utilisés pour les communications par les militaires. Ils émettent à des fréquences fixes et leurs ondes se propagent par rebond dans la guide Terre-ionosphère. Mais l'ionosphère n'est pas régulière et ces ondes peuvent aussi traverser l'ionosphère et être observées par un satellite. DEMETER a montré que l'émetteur le plus puissant NWC en Australie perturbe l'ionosphère en la chauffant sur une grande échelle (Parrot et al., 2007a). La Figure 19 montre un exemple de ces modifications ionosphériques qui sont observées à l'altitude du satellite, et l'étendue de ces perturbations est représentée sur la carte de la Figure 20.

Les ondes qui traversent l'ionosphère et qui se propagent dans l'hémisphère opposé peuvent aussi perturber les particules des ceintures de radiation comme cela a été étudié par Sauvaud et al. (2008). Une carte représentant une vue globale du flux de particules mesuré par l'instrument IDP autour de la Terre est montrée dans la Figure 21. On peut voir que l'effet de l'émetteur NWC est particulièrement important.


Figure 19 : Données recueillies le 22 Septembre 2006 entre 14.49.00 et 14.56.00 UT. De haut en bas les panneaux représentent : - le spectrogramme HF d'une composante électrique jusqu'à 3.33 MHz, - le spectrogramme TBF de la même composante jusqu'à 20 kHz (la ligne blanche représente la fréquence hybride basse), - la densité électronique, - la température électronique, et la température ionique en fonction du temps. Une grande perturbation est observée au Nord de l'émetteur NWC (21°47'S, 114°09'E).

Figure 20 : Carte de la côte Nord-Ouest de l'Australie. Les lignes représentent les projections des parties d'orbites de DEMETER où des perturbations ionosphériques semblables à celle de la Figure 19 sont observées. Le carré montre la position géographique du croisement entre l'orbite de DEMETER et la ligne de force du champ magnétique dont le pied est NWC. La position de NWC est indiquée par une étoile. La zone perturbée s'étend sur ~ 500000 km².

Figure 21 : Distribution géographique du flux des électrons de 200 keV quasi piégés. La valeur L=1.7 calculée à 700 km d'altitude est montrée par les deux lignes pointillées. On peut noter une large augmentation du flux au niveau de l'anomalie de l'Atlantique Sud et sa contrepartie dans l'hémisphère Nord où l'on observe une décroissance. La ceinture externe de radiation est détectée à toutes les longitudes et à des latitudes allant de -45° (-180° longitude) à -60° (-90° longitude). Au contraire, la structure associée à l'émetteur NWC en Australie est seulement détectée à partir de la côte ouest et suit la ligne L =1.7 comme il est prévu pour la dérive des électrons.